Un gentil coin de paradis.

Après le séjour à Roye et un passage à Montdidier nous partîmes vers le sud, en raison de l'avance allemande.

J'avais pris place dans un camion Berliet bâché dont le toit était surmonté d'une mitrailleuse en tourelle. Cette dernière était une antiquité provenant d'un Potez 25 des années vingt. Le lieutenant commandant l'échelon roulant, considérant ma fonction de caporal-chef, m'avait institué mitrailleur pour le cas ou nous serions attaqués. Personne ne m'avait disputé la place.

Nous progressions en convoi, sur une route rectiligne, au milieu des champs de la plaine picarde, Le temps était magnifique.

Tout à coup nous avons entendu le grondement, encore lointain, de moteurs d'avions. Le convoi s'est immobilisé, Nous avons vu, venant de l'horizon, des avions au nombre d'une vingtaine. Nous ne pouvions encore les identifier.

Aussitôt tout le monde sauta hors des camions. Hormis les fossés de la route il n'y avait rien pour s'abriter excepté, peut-être, un boqueteau circulaire situé à plusieurs centaines de mètres. Immédiatement ce lieu fut considéré comme une oasis de paix et une vague déferlante de réservistes se précipita dans sa direction...

J'aurais volontiers suivi l'exemple de mes anciens, mais, assez naïvement, je pensais qu'un ancien arpète de Rochefort ne pouvait pas quitter son poste, Je n'eus d'ailleurs pas à le faire car, les avions approchant, je vis qu'ils portaient des cocardes tricolores.

Pendant ce temps la débandade continuait. Personne ne songeait à regarder en l'air.... Les plus rapides à la course pénétrèrent dans le présumé refuge, mais, chose curieuse, ils en ressortirent aussitôt, heurtant au passage les plus bedonnants qui arrivaient à leur tour, épuisés. Il y eut, pendant une minute peut-être, une mêlée confuse de gens qui entraient et sortaient, en s'interpellant, dans un désordre incroyable.

Vue d'en haut, par les pilotes qui nous survolaient, la scène pouvait ressembler à une myriade d'insectes butinant un bouquet de fleurs.

Les avions s'éloignant le bouillonnement humain s'atténua puis cessa.

La meute revint vers les camions. Que pouvait-il y avoir sous les arbres qui puisse provoquer une telle débâcle ? Etait-ce une bête échappée d'un cirque ? ... ...

Non,...mais tout bonnement un dépôt de munitions. Les fugitifs s'étaient trouvés devant un dilemme : devaient-ils mourir du danger venant d'en haut ou de celui venant d'en bas ?.

Le lieutenant engueula tout le monde, puis, venant vers moi, me demanda

- Vous, le caporal-chef, comment vous appelez-vous ?

- Leon mon lieutenant !

- Bien ! ... Léon je vous ai à l'oeuil ! La prochaine fois que vous quitterez votre poste vous aurez affaire à moi !.

Un des réservistes me dit, en aparté, goguenard : " T'as compris mon gars ? Voilà comment on récompense les cabots-chefs trop zélés ! ".