Les chiens s'éclatent

Durant les mois d'août et septembre 1940 les soirées à Francazal furent infernales. Il y avait jusqu'à une heure avancée un remue-ménage et un tapage incessant dans les casernements. Les responsables de cet état de choses étaient, d'une part, les démobilisables (les quillards) et, d'autre part, des meutes de chiens qui déambulaient sans cesse dans les parages des casernements.

Ces meutes s'étaient formées à la suite de l'abandon forcé, par leurs maîtres, des nombreux toutous qui avaient été recueillis pendant la débâcle, au hasard des routes, au titre de mascottes des escadrilles. Ils étaient de toutes races, tailles et couleurs. Une société multiraciale en quelque sorte.

Leur préoccupation principale était la recherche de nourriture. En dehors des heures de repas ils folâtraient, en toute quiétude, dans la campagne environnante, mais lorsque retentissait la sonnerie de clairon annonçant la soupe ils en saisissaient parfaitement la signification et mettaient le cap sur les casernements.

Ils venaient derrière les cuisines de la troupe puis, aboyant, jappant, glapissant, ils montaient à l'assaut des poubelles, renversant celles-ci, se glissant à plusieurs à l'intérieur, se disputant et dispersant des restes de vieilles barbaques. Puis ils quittaient les lieux laissant derrière eux papiers gras, os rongés, déjections, etc.

Cependant, n'ayant pas pour autant assouvi leur faim, ils filaient, au choix, soit vers le mess des officiers ou vers celui des sous-officiers où ils se livraient aux même déprédations, bousculant et vidant de nouvelles poubelles avant de se disperser.

Le soir, la fin de leurs agapes se déroulait suivant un scénario différent. Il y avait aux fenêtres des casernements des centaines d'individus qui, entassés dans leurs chambrées, tentaient de trouver un palliatif à leur désœuvrement en excitant les chiens par des cris, des vociférations et des jets d'objets divers tels que gamelles, vieilles chaussures, etc.

Les pauvres bêtes, affolées, se livraient dans la cour à un carrousel infernal, toujours aboyant, se querellant et s'arrêtant seulement pour uriner ou déposer des excréments. Le bruit était démentiel.

Les autorités de la base étaient excédées. Elles décidèrent d'en finir. Nous apprîmes un matin qu'un grand coup allait être frappé. Une partie des effectifs de la base fut désignée pour effectuer une battue.

Je crois me rappeler que le succès de l'opération fut très limité.

Plus tard, les pauvres chiens, venus de partout et de nulle part, durent probablement s'égailler dans la région, y trouver l'âme sœur et y fonder une nombreuse descendance qui, de nos jours, doit peupler la banlieue sud-ouest de la ville rose.