Vent de panique (suite)

La force du vent augmentait sans discontinuer.

N'étant pas de service je me rendis, en simple observateur, jusqu'aux hangars. La plupart des avions en état de marche y avaient été abrités. Indépendamment de cela il existait, à l'une des extrémités de la base, un lieu dénommé " le cimetière d'avions " où l'on remisait, pêle-mêle, les appareils réformés pour causes d'accident, vétusté, etc. Il y avait là, entre autres, des Popo 25 (Potez 25). En ce même lieu étaient également entreposés des dizaines de fûts de 200 litres, vides.

Le vent se mit à souffler en tempête. Je m'étais abrité contre un hangar. Des tôles de la toiture commencèrent à s'arracher et passèrent en sifflant au-dessus de ma tête. Je vis que quelque chose bougeait du côté du cimetière d'avions. En regardant plus attentivement je remarquai que certains des Popo25 s'étaient, sous la poussée du vent , libérés de leurs entraves et, reprenant vie, s'élançaient sur la piste……

Immédiatement ordre fut donné aux hommes de service d'arrêter ces avions qui, traversant le terrain, risquaient de venir s'écraser sur les hangars d'Air France.. La violence de la tempête s'étant encore accrue le vent devait atteindre maintenant, en rafales, peut être 150 à 200 Km/h.

Les hommes s'élancèrent sur la piste……mais hors des hangars il n'y avait point de salut. Ils furent renversés et roulés. Finalement ils s'aplatirent sur le sol. Certains, cependant, purent se maintenir debout en s'inclinant à 45 degrés par rapport à la position verticale. Toutefois, au fur et à mesure de leur progression, ils étaient déportés loin de la direction qu'ils se proposaient de suivre….

Les Popo 25 continuaient inexorablement leur course à travers la piste….. les hommes qui luttaient contre le vent pour tenter de les intercepter devaient maintenant faire face à un autre danger : les fûts de 200 litres s'étaient, eux aussi, libérés et traversaient le terrain à grande vitesse. Afin de les éviter les hommes se livraient à un gymkhana effréné : sautant, tournoyant, roulant sur le sol.

Néanmoins quelques-uns d'entre eux purent, contre toute attente, accrocher au passage l'aile d'un avion. Ce dernier fit alors un cheval de bois de 360 degrés et repartit dans sa direction initiale en plantant là, déconcertés, les importuns qui prétendaient arrêter sa course.

Bien que mes souvenirs ne soient pas très précis, il me semble que, finalement, l'un des avions s'écrasa sur les hangars d'Air France tandis qu'un autre, traversant successivement les jardins de la compagnie, puis la route d'Oran, acheva son périple dans les vignes jouxtant la base. Les autres s'égaillèrent dans la nature.

Pendant que les hommes s'épuisaient en vain à arrêter les Popo25 un LeO45 tentait, malgré les turbulences, de se poser sur le terrain. La vitesse du vent étant proche de sa vitesse d'atterrissage il semblait presque immobile par rapport au sol et descendait vers celui-ci comme le ferait, de nos jours, un hélicoptère. Lorsque l'avion eut enfin touché le sol il fut amarré à une citerne à essence qui, fort opportunément, était venue se placer devant lui.

Quelques instant après, alors que je regagnais péniblement les casernements, je vis un spectacle courtelinesque. Sous l'effet du vent la guérite d'un soldat de garde s'était renversée, emprisonnant son locataire sous elle. Ce dernier, un bras passé par le trou en losange d'un des côtés essayait, en agitant frénétiquement un mouchoir, d'attirer l'attention de ses camarades. Mais ceux-ci avaient trop à faire pour eux-mêmes et ne tentèrent rien pour libérer leur collègue.

On ne sait pas s'il adressa une prière à Dieu mais, quelques temps après, le vent s'apaisa et tout porte à croire que le malheureux fut enfin tiré de sa mauvaise posture.