La genèse d'Air France-Orly

A la fin de 1945, lors de mon retour à la vie civile, je fis une demande à la compagnie Air France sollicitant un poste de mécanicien moteur. En réponse je reçus, dans le courant de janvier 1946, un courrier m'invitant à me rendre à l'aéroport du Bourget pour y passer un essai.

Ma prestation s'étant avérée satisfaisante je fus admis à la compagnie comme mécanicien Pl. Après les formalités d'usage on me demanda si je désirais être affecté au Bourget ou à Orly. En raison de sa proximité avec mon domicile de l'époque je choisis Orly.

Le lundi suivant, muni d'un laissez-passer, je me présentai à la "Porte de la Marine". C'était une des entrées du camp d'Orly. Elle était située sur la RN7 face à la localité de Paray-Vieille-Poste. Je fus reçu par un soldat US qui m'autorisa à entrer mais fut dans l'impossibilité de me dire où se trouvaient les locaux d'Air France. Je pensais, à tort, que la compagnie était déjà fortement implantée sur place mais, en fait, Orly était surtout une base de I'US Air Force comprenant des installations techniques et un village où étaient hébergés les militaires américains.

Après avoir tourné en rond dans la base et demandé de nombreuses fois, sans succès, dans un anglais approximatif, où se trouvait la compagnie Air France, j'aperçus enfin un homme qui, par sa tenue vestimentaire, me sembla être un Français. Il était occupé à balayer devant l'entrée d'un baraquement rigoureusement semblable à tous les autres.

Nonchalamment appuyé sur son balai il me regarda venir vers lui. Je posai pour l'énième fois, mais en français, la question : " Pouvez-vous me dire où se trouve la compagnie Air France ? ". J'eus alors la joie de m'entendre répondre : "Tu es arrivé ! Cette baraque, derrière moi, est celle de la compagnie ". Devant mon étonnement, et apprenant que j'étais un nouvel embauché, il ajouta : " Actuellement en comptant notre patron et notre secrétaire, nous sommes une vingtaine ". C'est ainsi que j'entrai dans la compagnie dans laquelle j'allais travailler trente années.

Notre patron était assisté d'un chef d'atelier et de plusieurs chefs d'équipe. Tous étaient des anciens de la compagnie. Les jeunes mécaniciens présents, âgés de 25 ans environ, étaient issus de l'Aéronavale ou, comme moi-même, de l'armée de l'air.

Ainsi se forma l'embryon d'Air France - Orly.

Dans l'immédiat un accord avait été conclu entre Air France et l'Air Transport Command (service des transports aériens de l'US Air Force) afin que nous puissions travailler sur les avions Douglas C54 de cet organisme et acquérir ainsi l'expérience nécessaire à l'entretien de nos futurs avions Douglas DC4 ; ces avions étant la version civile du C54.

En juin 1946 arrivèrent nos premiers DC4. Il s'agissait d'avions neufs transportant 50 passagers à une vitesse de croisière de l'ordre de 350 Km/h. Ces avions n'étant pas pressurisés volaient à environ 2500m d'altitude traversant ainsi toutes les perturbations atmosphériques rencontrées sur les routes de l'Atlantique ou d'ailleurs.

Sur 1'Atlantique-nord il y avait deux routes possibles pour atteindre New-York : La route du Nord avec escales à Shannon (Irlande) et Gander (Terre Neuve) ou la route du Sud avec escale aux Açores. La durée du voyage était d'environ 24 heures.

Beaucoup de passagers étaient malades par suite des turbulences incessantes. Lors de l'arrivée d'un avion à Orly l'air de la cabine était irrespirable. Les femmes de ménage avaient un travail peu enviable.

Des hangars étaient en construction pour loger les DC4. En attendant la fin des travaux nos avions étaient garés sur une piste en construction.

Nous étions organisés en équipes. Celles-ci étaient supervisées par le chef d'atelier. Il y avait des mécaniciens de toutes spécialités. Parmi eux les mécaniciens moteurs formaient, dans chaque équipe, quatre groupes de trois personnes : un premier mécanicien, responsable du moteur dont le groupe avait la charge, assisté de deux seconds mécaniciens. Chaque groupe travaillait à la même position de moteur sur tous les avions. Ainsi j'étais second mécanicien sur le moteur quatre (1).

Nous avons passé plusieurs mois sur la piste en construction. Entre temps j'avais été nommé mécanicien P2 et, par suite, premier mécanicien. Le DC4 était un avion robuste et facile à entretenir. Il en était de même de ses moteurs Pratt & Whitney R 2000. Ces moteurs, d'une cylindrée de 33 litres (2), développaient 1450 ch. Le R 2000 était muni d'une hélice à pas variable Hamilton Standard à commande hydraulique. Le fluide nécessaire à son fonctionnement était fourni par le circuit de graissage du moteur. D'autre part il était équipé d'un carburateur Bendix Stromberg "à injection". Le corps de carburateur mesurait la masse d'air absorbée par le moteur et débitait, sous pression, la quantité de carburant correspondante vers un injecteur unique situé à l'entrée du compresseur centrifuge. Ce type de carburateur équipait quasiment tous les avions américains (3).

Durant l'automne 1946 nous entrâmes enfin dans nos hangars neufs. Ils étaient situés en bordure de la route reliant la RN7 à Orly-ville. Les effectifs de la compagnie s'étant étoffés nous faisions les 3x8.

Après les déboires qu'avait connu la France durant cinq années il y avait en chacun de nous une volonté de remonter la pente. En raison du volume de travail et des impondérables l'équipe descendante renforçait, le plus souvent pendant plusieurs heures, l'équipe montante.

Nous étions devenus "la Section DC4" pendant que, non loin de nous, naissait la "Section CONSTELLATION".

  1. Je pense que je n'apprendrai rien à personne en précisant que, vus de la place pilote, les moteurs sont numérotés de gauche à droite. Sur un quadrimoteur le 1 et le 2 sont donc à la gauche du pilote et les 3 et 4 à sa droite.
  2. Le nombre 2000 désigne la cylindrée en pouces cubes.
  3. Sur les chasseurs il permettait, contrairement aux carburateurs à cuve à niveau constant, toutes les évolutions sans arrêt momentané de l'alimentation.