Visiteurs d'un autre monde (suite)

Nous avons entouré le char….Nous entendions des propos apaisants tels que : "amigo ! amigo !". Au moment ou tout semblait aller pour le mieux un incident se produisit. Des artilleurs français, en batterie au village de Valmy, et dont le zèle n'avait d'égal que celui de leurs glorieux prédécesseurs de 1792, ouvrirent le feu sur les chars, sans se préoccuper le moins du monde de notre présence. Il y eut autour de nous des explosions, des gerbes de terre et de fumée. Nous nous sommes plaqués au sol et avons rampé vers la tranchée. Malheureusement une difficulté nous est apparue. Pour pénétrer dans cette tranchée il fallait franchir la levée de terre, or nous entendions, au-dessus de celle-ci, le sifflement ininterrompu de projectiles en provenance d'armes légères

Une accalmie nous permit enfin de plonger dans la tranchée salvatrice. Nous sommes tombés les uns sur les autres. J'ai finalement hérité d'un espace réduit qui, compte tenu de son odeur, ne laissait aucun doute sur l'utilisation qui en avait été faite auparavant. Malgré tout je m'estimais très chanceux de pouvoir m'allonger et de faire corps avec le sol.

Autour de nous les chars rugissaient et tournaient en rond sans arriver, semblait-il, à localiser les départs de coups. Une de ces machines s'immobilisa au-dessus de moi, à la limite de la tranchée. J'apercevais les chenilles et le canon à deux mètres au-dessus de ma tête. Le canonnier s'étant décidé à ouvrir le feu, les détonations furent pour moi autant de coups de matraque derrière la tête. A intervalles réguliers celle-ci était violemment repoussée contre la fange malodorante qui garnissait le fond de la tranchée…….

Enfin le calme se rétablit, notre punition était terminée. Nous avons été dirigés sur la "baraque de la météo", une construction située à la limite de la base, en lisière de la sebkra. Progressivement nous fumes tous rassemblés, pour la nuit, dans cette bicoque. Nous étions peut être deux cents, debout sur quelques mètres carrés. Il nous était interdit de sortir. Les heures passèrent, interminables…..L'odeur était si insupportable que le GI qui vint nous ouvrir , au petit matin, esquissa plusieurs pas de recul.

On nous autorisa à occuper une tranchée proche de la baraque de la météo. Nous étions à la lisière est d'un immense rassemblement de véhicules de toutes sortes. Nous nous sommes alors souvenus d'une information, parue quelques temps auparavant dans la presse locale, selon laquelle, aux USA, l'armée américaine manœuvrait, faute de matériel, avec des canons en bois..

Dans la journée un fait nouveau se produisit. Des obus de gros calibre, venant, semblait-il, de la batterie côtière de Santa-Cruz, se mirent à tomber sur le terrain. Nous avons pensé que cette batterie tentait de pilonner le rassemblement américain mais, fait inexplicable, les obus tombaient toujours à deux cents mètres de leur objectif supposé, dans une zone totalement déserte.

Enfin l'armada des camions GMC et des chars s'ébranla vers Oran et cette malheureuse affaire Franco-Anglo-Américaine trouva sa conclusion.

Quelques jours après, dans un désir commun de réconciliation, nous avons été rassemblés, avec les Américains, dans la cour de la base. Les couleurs françaises et américaines furent envoyées. On joua les hymnes nationaux. Puis les Américains occupèrent la base et nous envoyèrent cantonner dans les fermes avoisinantes. Plus tard, lors d'une prise d'armes en commun, des décorations furent remises à des militaires des deux bords, en récompense de leur belle conduite au feu…..(3).

Ainsi prirent fin, à la base d'Oran-La Sénia, les événements baptisés : OPERATION TORCH

 

(1) L'étoile blanche n'avait, à l'époque, aucune signification pour nous. Les raids massifs des bombardiers US sur l'Europe occupée ne commencèrent qu'au début de 1943. Donc en 1942, vraisemblablement, aucun avion à étoile blanche n'avait été abattu en France. D'où notre ignorance quasi générale à ce sujet. Il faut noter aussi que, dans le contexte de 1942, l'idée d'un débarquement américain en Afrique du Nord ne nous était jamais venue à l'esprit.

En ce qui concerne le type d'avion utilisé il m'est difficile, si longtemps après, d'affirmer qu'il s'agissait bien de Spitfires. Des historiens rapportent que les Anglais utilisaient bien des Spitfires, mais aussi des Sea Hurricanes. Ces appareils portaient des étoiles blanches en lieu et place des habituelles cocardes. Cela en raison de l'hostilité des Français, vis à vis des Anglais, depuis l'affaire de Mers-el-Québir. D'autre part les Américains utilisaient des Spitfires qui leur avaient été livrés par les Anglais. D'où une certaine confusion.

(2) Des parachutistes US, venant de Grande Bretagne, devaient s'emparer de la base de la Sénia. Ils ne purent pas accomplir leur mission.

A noter que l'autorisation qui nous avait été donnée de nous replier devant des chars mais à condition de nous remettre périodiquement en position de tir équivalait, sur le terrain plat et désertique de la Sénia, à nous envoyer à l'abattoir.

(3) Comme quoi la morale des nations, fait place, lors de certains événements, à des arrangements de circonstances

A la suite de l'opération "Torch", l'armée d'AFN fut réorganisée et réequipée. Elle repartit au combat contre les Allemands. L'armée de l'air reçu des Spitfires, des P47, des Airacobras, des Maraudeurs et des P38. En juin 43 la mobilisation générale fut décrétée en AFN, puis, plus tard, en Corse.

Remarque : Au cours de l'année 1941 trois pilotes du 1/3 : Albert, Lefèvre et Durand avaient, au cours d'un exercice, quitté La Sénia et gagné Gibraltar avec leurs 520. Sur la demande des commissions d'armistice allemande et italienne le commandant du groupe fut relevé et le 1/3 devint le 3/3. Il reprit son appellation d'origine après le 8 nov.42 et devint, un peu plus tard, le groupe "Corse" ( équipé de Spitfires).

Après un séjour en Angleterre les trois pilotes furent affectés au" Normandie-Niemen". Albert est le second as français avec 23 victoires. Il vit aux Etats-Unis. Lefèvre est décédé à Moscou en juin 1944 après avoir été grièvement blessé. Durand a disparu en combat aérien en septembre 1943.

Informations complémentaires concernant "l'Opération Torch".

Ainsi que je l'ai expliqué précédemment l'état-major de l'armée d'Afrique savait que des convois se dirigeaient vers le détroit de Gibraltar (en fait seul un de ces convois devait passer le détroit, l'autre s'apprêtant à débarquer sur les côtes marocaines). Je suppose que cet état-major savait également que des troupes américaines se trouvaient à bord de ces navires. Par contre, jusqu'à quel niveau hiérarchique est descendue cette information le 7 novembre au soir ? Mystère. Les commandants d'unités ont certainement été mis au courant et, parmi eux, ceux des bases aériennes. Cependant l'information n'est pas parvenue jusqu'au personnel subalterne (je veux parler du personnel allant de l'adjudant-chef au soldat de 2ème classe). Le 7 au soir nous ignorions tout de la possibilité d'un débarquement anglais et, de surplus, comprenant des troupes américaines. D'ailleurs, en général, à cette époque-là, les ordres que nous recevions n'étaient accompagnés d'aucune explication.

Comme je l'ai indiqué nous avons eu, durant la matinée du 8 nov., après l'attaque des avions à étoile blanche, la visite de l'officier commandant la défense du terrain. A notre question concernant l'identité des assaillants il nous à répondu ne pas savoir. Ne savait-il vraiment rien ou bien avait-il des ordres pour ne rien dire ? La question reste posée.

Ayant contacté un de mes anciens collègues, j'ai obtenu auprès de lui quelques informations supplémentaires. Ce collègue était descendu en permission à Oran le 7 nov. dans la soirée. Il reçut, dans la nuit, l'ordre de rentrer à la base. Alors qu'il arrivait près des hangars, à l'aube, en compagnie d'autres camarades ils entendirent un avion passer au-dessus d'eux. Ensuite ils trouvèrent sur le sol des tracts sur lesquels étaient imprimés la photo du président Roosevelt et un texte, rédigé en français, annonçant l'arrivée des Américains. Donc, par cette voie, une partie du personnel de la base fut mise au courant de ce qui se préparait.

Ceux qui, comme moi, avaient été désignés pour assurer la défense du terrain, se trouvaient depuis le 7 au soir dans des tranchées situées à la périphérie de la base. Donc loin des hangars et des casernements et, par conséquent, loin des sources d'information possibles.

Pour résumer disons que : L'état-major, les commandants d'unités (bases aériennes), certains officiers et pilotes savaient vraisemblablement que des Américains, et pas seulement des Anglais, allaient débarquer. Le reste du personnel ne savait rien mais la découverte de tracts au matin du 8 novembre permit à certains membres de ce personnel d'apprendre la présence d'Américains parmi les troupes de débarquement.

Il faut ajouter que tout cela s'est passé dans le désordre et la confusion.