Le pain quotidien.

La population civile de Kasba-Tadla s'élevait à plusieurs milliers d'habitants avec, parmi eux, quelques dizaines de familles européennes. Les activités principales étaient l'agriculture et l'élevage.

L'entrée de la base donnait directement sur la rue principale de ce que l'on aurait pu appeler "le bourg". De part et d'autre de cette rue il y avait une dizaine de cafés, ou de cafés-restaurants, fréquentés surtout par le personnel de la base. La rue débouchait sur une grande place à l'extrémité de laquelle se trouvait une ancienne forteresse qui, par sa façade opposée, dominait l'Oum-er-Rebia.

L'effectif de la base se montait à 800 militaires : personnel du commandement et de l'administration, moniteurs-pilotes, stagiaires-pilotes, mécaniciens, auxquels venaient s'ajouter les tirailleurs marocains chargés du service de garde.

L'unité de l'armée de terre qui avait occupé les lieux, avant le retour de l'aviation, était partie combattre en Italie. Certaines des familles des officiers et sous-officiers de cette unité étaient restées dans des logements situés à l'intérieur de la base.

Je m'étais installé dans une chambre avec quatre autres collègues. L'un d'eux, mécanicien, était originaire de Barcelonnette. Un autre, lui aussi mécanicien, était de Tanger.

Les deux autres étaient des stagiaires-pilotes qui venaient du GC1/3. L'un était d'Oran et l'autre de Paris.

Chaque jour le travail commençait à 8h et se terminait à 12h. Ensuite reprise à 13h. Fin du travail à 19h. En juillet/août les horaires étaient modifiés en raison de la chaleur estivale.

Le matin, à 8h30, tous les avions devaient être en vol, sauf ceux indisponibles pour révision. Aux commandes des Moranes 315 les stagiaires devaient se réaccoutumer aux diverses phases du pilotage et, parmi elles, à la PTS ( prises de terrain en S). Il s'agissait, peut être n'apprendrais-je rien à personne, d'approcher la piste en faisant une série de lacets comportant des virages relativement serrés. A la sortie du dernier virage l'avion devait se trouver à l'altitude et dans l'axe corrects pour l'atterrissage.

Après le 315 c'était le 230 et la voltige.

Les stagiaires passaient d'un type d'avion à un autre au fur et à mesure de l'avancement de leur instruction. A la fin du stage, suivant les résultats obtenus, ils allaient continuer leurs cours à Meknès (chasse) ou à Marrakech (bombardement).

Dans ma fonction de mécanicien j'avais affaire, comme mes collègues, au manque de pièces de rechange. Cette pénurie concernait, en premier lieu, les bougies d'allumage. Chacun d'entre nous disposait de deux jeux de bougies. L'un de ceux-ci équipait le moteur au départ du matin tandis que l'autre était gardé en réserve.

Vers 10h, après cinq ou six décollages, le moteur (usé par l'âge) ayant encrassé ses bougies, l'avion revenait au hangar. Je remplaçais rapidement les "vieilles" bougies par le jeu de réserve. L'avion repartait tandis que je me mettais en devoir de nettoyer les bougies démontées. Le même scénario se répétant en fin de matinée et dans l'après-midi nous passions une grande partie de notre temps à nettoyer des bougies ou, éventuellement, à en régler les électrodes.

Quelques temps après mon arrivée, mon 230 (un autre) ayant effectué le nombre d'heures de vol prévu entre révisions je dus procéder aux vérifications d'usage, sur la cellule, le moteur, etc. Avant sa remise en service l'avion devait être essayé en vol par un moniteur pilote. Cette opération, baptisée "essai de voilure", consistait à exécuter avec l'appareil un certain nombre de figures de voltige. A cette occasion le mécano pouvait, s'il le désirait, occuper la place disponible. Personne ne reculait devant ce qui était parfois une épreuve difficile pour les estomacs délicats. D'ailleurs pour parer à toute éventualité il nous était recommandé d'emporter une musette destinée à recevoir les rejets éventuels.

Je fis donc comme tout le monde.

Le pilote, un adjudant-chef, mit les gaz, décolla et prit rapidement de l'altitude. Arrivé à environ 2000m il réduisit complètement le moteur et attendit le décrochage de l'appareil…Celui-ci fit une abattée sur le côté et s'engagea en piqué….. le pilote remit les gaz et fit une remontée rapide. Ensuite il enchaîna avec une série de tonneaux suivie de plusieurs boucles et immelmanns. Je commençais à avoir l'estomac en perdition.

Durant ces évolutions le moniteur vit un oiseau de grande taille qui volait au-dessous de nous. Il le dépassa puis, poussant sur le manche, exécuta ce que l'on pourrait appeler un immelmann à l'envers. Autrement dit il fit une demi-boucle vers le bas et comme, suite à cette manœuvre, nous étions sur le dos, il fit un demi-tonneau pour se rétablir. Avant que je puisse reprendre mes esprits, il y eut un choc et le pare-brise se couvrit de sang et de plumes….S'en était trop, je dus, à mon grand regret, faire usage de ma musette….

L'adjudant-chef mis, enfin, un terme à mon calvaire et ramena l'appareil au terrain. A sa descente d'avion il me dit que tout allait bien. C'était un brin réconfortant mais je dus, en plus du nettoyage du pare-brise, extraire un à un les débris et plumes qui étaient venus s'encastrer entre les ailettes des cylindres.

 

Remarque : Les termes utilisés, concernant la voltige, ne sont peut être pas toujours les bons, il y a si longtemps de cela. De plus peut être ont-ils, depuis, été modifiés ou codifiés.